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Échange avec Mandragore des éditions de L'Œuf

Autrice, éditrice, musicienne, Mandragore est une touche-à-tout passionnée qui porte depuis plus de vingt ans la maison d’édition coopérative L’Œuf. Entre fanzine, narration graphique et spectacles dessinés, elle revient sur son parcours, le fonctionnement atypique de sa structure, et les défis d’un monde du livre en crise. Rencontre avec une artisane de la bande dessinée indépendante.

Bonjour Mandragore, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Mandragore : Je suis Mandragore, autrice de bande dessinée et aussi éditrice. À la base, je me destinais à être autrice, autant au scénario qu’au dessin. Mais je suis tombée dans l’édition un peu par hasard, en intégrant un collectif d’auteurs rennais. Ce collectif a ensuite donné naissance à une maison d’édition. J’avais aussi fait un stage aux éditions Cornelius pendant mes études, qui m’avait énormément plu et qui m’a confirmé que c’était possible — et passionnant — d’être à la fois autrice et éditrice.

Aujourd’hui, vous vous considérez plus comme autrice ou éditrice ?

Mandragore : Je me considère d’abord comme autrice. Si je devais choisir, je serais autrice. Mais j’ai toujours aimé avoir plusieurs activités. Je suis aussi musicienne, je travaille sur des projets de spectacle, d’enseignement… J’ai une production lente, mais variée. Et ça me convient mieux que de rester enfermée dans l’atelier.

Couverture

Couverture " Le dernier peintre " © Mandragore

La maison d’édition L’Œuf fonctionne de manière coopérative, avec des bénévoles, pouvez-vous nous en dire plus ?

Mandragore : Oui, à l’origine c’était un collectif de jeunes dessinateurs encore étudiants, un peu frustrés par le manque de reconnaissance de la bande dessinée dans leurs cursus en arts plastiques. On a commencé par fabriquer des fanzines, sans ambition commerciale. Puis un jour, un auteur extérieur nous a proposé un projet plus important, on a tiré 500 exemplaires en offset. Et c’est à ce moment-là qu’on a basculé vers une véritable structure éditoriale. L’esprit de coopération est resté central : entraide entre auteurs, partage de savoirs, soutien à des projets difficiles économiquement. La plupart des membres sont auteurs eux-mêmes.

Est-ce que ce sont les auteurs qui viennent vous voir ou l’inverse ?

Mandragore : C’est majoritairement les auteurs qui viennent à nous, souvent via internet. Mais au fil du temps, une sorte de famille s’est formée, on connaît bien certains auteurs, on est au courant de leurs projets. Parfois, on sait qu’un projet a du mal à trouver preneur, et dans ce cas on peut proposer. Mais il nous arrive aussi d’aller chercher des projets à l’étranger, par exemple.

Mandragore et Mara Kabar au festival SOBD 2023

Mandragore et Mara Kabar au festival SOBD 2023 © Éditions L'Oeuf

Quels sont vos critères pour publier un livre ?

Mandragore : C’est d’abord le coup de cœur. On publie principalement de la narration graphique, de la bande dessinée qui interroge le médium, avec des styles graphiques très personnels. On a une petite collection de contes illustrés, mais on fait très peu de textes illustrés classiques. On n’est pas dans la BD mainstream, mais plutôt dans ce qui déborde du cadre habituel.


Quel est le public de L’Œuf ?

Mandragore : On s’adresse à un public curieux. Les gens pas curieux passent souvent devant nos livres sans s’arrêter. Nos ouvrages sont hors normes : formats, couvertures, contenus… Il y a beaucoup d’adultes, mais aussi quelques livres jeunesse. On a souvent des lecteurs qui ne lisent pas habituellement de bande dessinée et qui sont surpris de se retrouver touchés. Et inversement, des connaisseurs qui cherchent quelque chose de plus expérimental. Ce n’est pas toujours ce à quoi on s’attendait.

Les auteurs Claire Malary et André Ducci au festival d'Angoulême

Les auteurs Claire Malary et André Ducci présents au stand de L'Oeuf au festival d'Angoulême © Éditions L'Oeuf

Est-ce que la ligne éditoriale de L’Œuf a évolué au fil des années ?

Mandragore : Oui, bien sûr. L’équipe a changé au fil du temps, certains sont partis, d’autres sont arrivés. Moi, je fais partie des plus anciens. Nos goûts ont évolué, on a éduqué notre regard. On ne cherche plus les mêmes choses qu’à vingt ans, et l’histoire de la BD a aussi évolué. On suit un peu ce mouvement tout en gardant notre identité.

Vous organisez aussi des ateliers, des concerts dessinés… C’est pour entretenir un lien avec les lecteurs ?

Mandragore : Oui, ça s’est fait naturellement. Plusieurs d’entre nous, comme Alice Dufault ou moi, avons d’autres pratiques artistiques : musique, conte… Nous avons donc monté des expositions, des spectacles, pour donner plus de visibilité à nos livres. Dans les librairies ou les salons, ils sont souvent noyés. Les ateliers sont venus ensuite, à la demande. Et c’est aussi une manière de faire vivre les auteurs, ce qui est essentiel. C’est une forme de médiation culturelle, un prolongement de notre activité éditoriale.

Concert dessinée organisé par les éditions L'oeuf

Concert dessiné © Éditions L'Oeuf

Avez-vous rencontré des difficultés importantes depuis la création ?

Mandragore : Oui, bien sûr. Comme toute structure durable, nous avons traversé des crises. Il y a eu des départs, des burn-out, des remises en question… Certains livres n’ont pas marché du tout. On a appris à vivre avec ça. Les difficultés aujourd’hui viennent surtout du contexte général du livre, qui est très tendu économiquement. On n’a pas d’employés, ce qui nous protège un peu : beaucoup de choses sont faites en bénévolat. On paie les mises en page, les droits d’auteur, les interventions… Mais chaque année, on redémarre sans savoir où on va. On limite les risques, on tire peu d’exemplaires. La prise de risque est là, pour nous comme pour les auteurs. Mais on fait ça pour que des œuvres originales existent.

Quel avenir imaginez-vous pour L’Œuf ?

Mandragore : Ce qu’on souhaite, c’est pouvoir continuer comme on le fait. On publie deux ou trois livres par an, c’est peu, mais ce rythme nous va. Si un gros succès venait, on pourrait envisager d’embaucher, mais on n’est même pas sûrs de le vouloir. Ça alourdirait la structure et pourrait changer l’esprit. Aujourd’hui, on a trouvé un équilibre.

Y a-t-il un titre qui vous a particulièrement marqué ?

Mandragore : C’est toujours une question difficile, un peu comme demander à un parent de choisir son enfant préféré… Mais récemment, on a été très heureux de faire découvrir Pavel Tchek au public français. C’est un auteur tchèque d’un certain âge, jusque-là inconnu ici, et son livre a bien été accueilli. Nous en sommes très contents.

L'autre Tchèque Pavel en compagnie de l'équipe L'oeuf au festival d'Angoulême 2025

L'auteur Tchèque Pavel en compagnie de l'équipe L'Oeuf au festival d'Angoulême 2025 © Éditions L'Oeuf

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